
Imaginez-vous recevoir un rapport de 15 pages. Mise en page impeccable, graphiques « pro », titres léchés. Vous l’ouvrez plein d’espoir… et après 5 minutes de lecture, vous réalisez qu’il ne dit absolument rien. Pas d’analyse, pas de contexte, juste du remplissage élégant comme quand on faisait un exposé à l’école.
Pire encore : vous allez devoir passer 2 heures à refaire ce travail que quelqu’un vous a envoyé en 5 minutes grâce à ChatGPT.
Bienvenue dans l’ère du workslop — la nouvelle plaie du monde professionnel qui coûte 9 millions de dollars par an aux entreprises de 10 000 employés, détruit la confiance entre collègues, et révèle un malaise profond dans notre rapport au travail.
Le terme vient de la contraction de « work » (travail) et « slop » (contenu de mauvaise qualité). Et contrairement à ce qu’on pourrait croire, ce n’est pas un phénomène marginal.
Une étude menée en septembre 2025 par BetterUp Labs et le Stanford Social Media Lab auprès de 1 150 employés américains révèle des chiffres stupéfiants (BetterUp Labs & Stanford Social Media Lab, septembre 2025) :
Traduction : du travail « low cost » pour celui qui l’envoie, mais une charge invisible et massive pour celui qui le reçoit.
Un participant à l’étude, directeur dans la grande distribution, résume parfaitement : « J’ai dû perdre du temps à vérifier les informations par mes propres recherches. Puis j’ai dû perdre encore plus de temps à organiser des réunions avec d’autres superviseurs pour traiter le problème. Puis j’ai continué à perdre mon temps en refaisant moi-même le travail. »
Bienvenue dans le nouveau monde du travail, qu’on a pas tous envie de rencontrer.
En théorie, l’IA doit nous libérer des tâches ingrates. Dans les faits, pour le moment, elle nous épuise.
Les chiffres de l’étude Upwork de 2024 menée auprès de 2 500 cadres dirigeants sont édifiants (Upwork Research Institute, 2024) :
Côté direction :
Côté employés :
Le paradoxe est clair comme de l’eau de roche : on espère des gains massifs, mais faute de cadre et de formation, on récolte du chaos. »

Welcome to Idiocracy ! Je vous invite à voir ce film comique qui sous couvert de l’humour, présente plutôt bien l’évolution de notre société avec l’IA.
Le workslop n’est pas un accident. C’est un symptôme.
Beaucoup utilisent l’IA comme un distributeur automatique : on insère une requête basique, on récupère un résultat médiocre, et on l’envoie sans même le lire. C’est l’équivalent numérique du fast-food intellectuel.
Il suffit de voir les vendeurs de rêves de l’automatisation qui sont apparus en quelques mois sur Linkedin pour vous vendre : « des gains sans travail » 🤑🤮
Jeff Hancock, professeur à Stanford et co-auteur de l’étude, le dit sans détour : « Pour produire du travail bâclé, je dois quand même fournir un effort. Je dois l’écrire. Ça peut être sans réflexion, mais ça demande de l’effort. Maintenant que cette partie a disparu, je peux générer énormément de contenu inutile ou improductif très facilement. » (BetterUp Labs & Stanford Social Media Lab, septembre 2025)
Résultat : des contenus creux, envoyés sans filtre, qui vont pourrir la journée de quelqu’un d’autre…
Bernard Stiegler parlait de « prolétarisation cognitive » pour décrire l’absorption progressive de nos savoir-faire par les systèmes techniques.
Avec l’IA, on assiste à l’émergence d’une nouvelle caste : les validateurs professionnels. Leur job ? Appuyer sur « Entrée » dans ChatGPT, puis vérifier (ou pas) que le résultat a du sens.
C’est David Graeber 2.0 : après les « bullshit jobs » (ces emplois que même ceux qui les occupent considèrent comme vides de sens), voici les emplois assistés par IA où l’humain devient un simple validateur de ce que la machine a produit.
Un travail fantôme où la créativité et le professionnalisme s’évapore aussi vite le poil dans la main pousse.
Personne ne veut prendre la responsabilité du workslop :
Résultat : une spirale de l’évitement où personne ne veut être celui qui dit « le roi est nu ».
Une participante à l’étude témoigne : « Recevoir ce travail de mauvaise qualité m’a fait perdre beaucoup de temps et m’a causé beaucoup de désagréments. Comme il m’avait été fourni par ma supérieure, je ne me sentais pas à l’aise de lui faire remarquer sa mauvaise qualité et de lui demander de le refaire. J’ai donc dû faire l’effort de faire quelque chose qui aurait dû être de sa responsabilité, ce qui m’a empêché de me consacrer à mes autres projets en cours. » (BetterUp Labs & Stanford Social Media Lab, septembre 2025)
On commence à parler de Burn-out dû à l’IA, ce qui est paradoxal avec un outil qui doit nous simplifier le quotidien, mais c’est une réalité, certains bossent en silence pour rattraper le travail débile pondu par une IA mal utilisée.
Au-delà des coûts financiers, le workslop a un impact dévastateur sur les relations professionnelles.
Quand vous recevez du workslop d’un collègue, votre perception de cette personne change radicalement (BetterUp Labs & Stanford Social Media Lab, septembre 2025) :
Et ce n’est pas tout. Quand vous recevez du workslop, vous vous sentez (BetterUp Labs & Stanford Social Media Lab, septembre 2025) :
Maintenant, imaginez que ce workslop vienne de votre manager. Vous êtes coincé : impossible de lui faire remarquer la mauvaise qualité sans risquer le conflit hiérarchique. Alors vous refaites le travail en silence, en sacrifiant vos autres projets, en rongeant votre frein… encore et encore.
Le workslop ne détruit pas seulement la productivité. Il détruit la confiance, le fondement même de toute collaboration.
Voici l’un des aspects les plus troublants de cette histoire : l’IA crée un biais cognitif massif.
Les chiffres de l’étude Upwork sont éloquents (Upwork Research Institute, 2024) :
L’IA nous fait croire que nous sommes meilleurs, alors que nous devenons moins compétents. C’est l’effet Dunning-Kruger sous stéroïdes.
Résultat : le workslop prolifère parce que les gens ne voient même pas qu’ils produisent du mauvais contenu. Et oui ! comment savoir que ce que l’IA produit est mauvais si on n’a pas les compétences pour l’évaluer.
Vous pensez que votre entreprise contrôle l’usage de l’IA ? Détrompez-vous.
Une étude Salesforce de novembre 2023 auprès de 14 000 salariés dans 14 pays révèle un phénomène inquiétant (Salesforce & YouGov, novembre 2023) :
En France :
Et ce n’est pas propre à la France. À l’international, 20% des employés sont des « utilisateurs secrets » de l’IA (Salesforce & Bernard Marr, 2024).
Pourquoi cette clandestinité ? Parce qu’ils ne connaissent pas la position de leur direction, parce qu’ils ont peur des réactions, parce qu’il n’y a aucun cadre clair.
Anecdote vraie : Samsung a dû interdire ChatGPT après que des ingénieurs ont uploadé du code confidentiel. Trois semaines plus tard, des bribes de ce code sont apparues dans des réponses à d’autres utilisateurs.
Ce genre de situation devrait faire sourire… sauf qu’elle se reproduit probablement dans votre entreprise en ce moment même.
Le workslop n’est pas une fatalité. C’est un symptôme de croissance — la période chaotique où les mauvaises pratiques côtoient les innovations brillantes.
Voici comment en sortir.
Règle n°1 : Ne JAMAIS publier directement une sortie IA
Si vous utilisez l’IA pour éviter de réfléchir plutôt que pour mieux réfléchir, vous créez du workslop. Point.
Le processus en 7 étapes pour un usage responsable :
La règle 80/20 inversée : Passez 80% du temps à réfléchir et préparer votre requête, 20% à exploiter le résultat. La plupart font l’inverse et ça se voit au final.
Exemple concret :
👎 Mauvais usage : « ChatGPT, écris-moi un rapport sur le réchauffement climatique » → Résultat : un article verbeux, sans profondeur, avec des erreurs glissées aléatoirement qu’un expert mettra en évidence, détruisant votre crédibilité.
👍 Bon usage : « Voici ma thèse sur le réchauffement climatique [détails]. Peux-tu identifier les failles logiques et suggérer des contre-arguments ? » → Résultat : Un travail de réflexion avec l’IA, vous permettant de faire évoluer votre pensée et trouver des axes que vous n’auriez peut-être pas envisagés.
Soyez transparent : Si vous utilisez l’IA, dites-le. « J’ai utilisé ChatGPT pour structurer mes idées, puis j’ai adapté avec notre contexte spécifique. » La transparence crée la confiance, ce n’est pas aveux de faiblesse d’utiliser l’IA, si c’est bien fait, c’est plutôt un signe d’intelligence.
Stop à l’improvisation dangereuse
Arrêtez d’imposer l’IA sans former. C’est le meilleur moyen de créer du workslop en masse.
Les chiffres parlent d’eux-mêmes : vous attendez que vos équipes utilisent l’IA, mais vous ne leur donnez pas les moyens de bien le faire.
Le minimum syndical : une charte IA claire
Redéfinissez la productivité
76% des employés affirment qu’ils seraient plus productifs s’ils avaient leur mot à dire sur la façon dont leur productivité est mesurée (Upwork Research Institute, 2024).
Arrêtez de mesurer :
Commencez à mesurer :
La philosophie Centaure : l’IA comme partenaire, pas comme substitut (je vous invite à lire mon précédent article qui parlait de cette philosophie)
C’est ce que Kate Niederhoffer, vice-présidente de BetterUp Labs, appelle le « pilot mindset » (mentalité de pilote) : utiliser l’IA pour augmenter son contrôle et sa créativité, pas pour l’abandonner (BetterUp Labs & Stanford Social Media Lab, septembre 2025).
Le workslop est le symptôme d’un contrat social brisé. Il révèle :
Les 5 piliers d’un nouveau contrat :
Nous sommes à un carrefour. Deux scénarios s’offrent à nous.
Un monde où :
C’est un monde d’efficacité apparente et de médiocrité systémique.
Un monde où :
C’est un monde d’excellence collaborative où l’IA nous rend plus humains, pas moins.
Voilà la vérité brutale : chaque fois que vous envoyez du workslop, vous votez pour le scénario 1.
Chaque fois que vous :
…vous participez à la construction du monde 1.
À l’inverse, chaque fois que vous :
…vous construisez le monde 2.
Le workslop n’est pas causé par l’IA. Il est causé par notre tendance à emprunter le chemin de la moindre résistance, et le digital a exacerbé cette tendance.
Par notre incapacité collective à :
L’IA est un miroir grossissant de nos dysfonctionnements. Elle révèle :
La vraie question n’est donc pas « Comment utiliser l’IA ? »
C’est : « Quel type d’humains voulons-nous être dans un monde augmenté par l’IA ? »
Des validateurs passifs qui transfèrent leur charge mentale aux autres ?
Ou des créateurs responsables qui utilisent l’IA pour amplifier leur excellence ?
Le choix vous appartient.
À chaque email. À chaque rapport. À chaque décision managériale.
Ne déléguez pas votre humanité à une machine, Utilisez la machine pour devenir plus humain. (Je suis plutôt fier de cette conclusion 😉 )
P.S. : Cet article a été co-rédigé avec Claude/ChatGPT/Gemini, qui m’a aidé à structurer mes idées, vérifier les données scientifiques, et challenger mes arguments. Mais chaque phrase, chaque exemple, chaque réflexion a été passée au crible de mon jugement critique. Parce que c’est exactement ce que signifie utiliser l’IA intelligemment : elle augmente, mais ne remplace pas, la pensée humaine.
Et vous, allez-vous continuer à produire du workslop ou allez-vous faire partie de la solution ?